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Françoise Walot présente Kristin Linklater

Conférence de Kristin Linklater : explication de sa Technique

Freeing the Natural Voice

Ce texte est une transcription traduite, revue et corrigée par Françoise Walot de la conférence donnée par Kristin Linklater intitulée « Freeing the Natural Voice » qu’elle a proféré en ouverture du colloque « Pratiques de la voix sur scène : de l’apprentissage à la performance vocale » le 16 novembre 2015 au Théâtre Gérard Philipe.

Kristin Linklater

Traduction Françoise Walot

J’ai commencé à donner cours quand j’avais 21 ans. La méthodologie que j’enseigne et que j’ai enseignée à de nombreux autres pour qu’ils l’enseignent à leur tour, est basée sur une approche du travail de la voix pour acteurs qui a été développée initialement par Iris Warren dans les années 30 et 40. Iris s’est intéressée aux racines émotionnelles de la voix, et ce faisant, elle a ouvert un tout nouveau monde d’exploration dans une profession qui avait clairement défini ses paramètres esthétiques et établi les limites de la performance vocale : une projection suffisante pour être entendu jusqu’au dernier rang du théâtre, une amplitude des dynamiques vocales agréablement modulées, et une articulation impeccable. La voix de l’acteur était considérée comme un instrument musical à bien gérer et avec lequel jouer adroitement. Mais Iris s’occupait d’acteurs réputés de la scène du West End à Londres et qui perdaient leur voix à cause des efforts fournis en poussant pour produire ces effets recherchés. La légende veut qu’un beau jour des années trente, un analyste freudien ait demandé à Iris si elle serait en mesure d’aider un patient incapable de parler de ses expériences traumatiques. Iris l’a fait se décontracter, respirer profondément et sentir le son de sa propre voix dans son corps. Il s’est tout de suite mis à pleurer, et avec le flot de larmes a surgi un flot de paroles. À partir de là, Iris a adapté ses exercices vocaux pour y inclure l’impulsion émotionnelle. Encore et encore, ses clients retrouvaient leur voix quand l’émotion était relâchée. Cette découverte a révolutionné ses exercices : la voix ayant son origine au plus profond du corps émotionnel ne pouvait plus être gérée par une régulation abdominale et intercostale.

Il faudra en Angleterre plus de vingt ans pour que la formation de l’acteur ne rattrape Iris. Ce n’est que dans les années cinquante que le théâtre de Boulevard qui y prédominait avec un style de jeu quelque peu extérieur a évolué et intégré le réalisme psychologique de Stanislavski. Depuis les années 40, l’influence de Jacques Copeau et de ses recherches sur le travail du personnage avait commencé à influencer la formation de l’acteur, mais selon moi, c’est le naturalisme cru du jeu du cinéma américain qui a définitivement fait craquer la façade des techniques de jeu anglaise dans les années 70, 80 et plus.

En Amérique, le jeu d’acteur était imprégné de la méthodologie de Stanislavski et de manière notoire de l’approche de l’Actor’s Studio de Lee Strasberg, qui avait dominé la formation de l’acteur en Amérique des années 50 aux années 80. (Les professeurs de Strasberg à New-York étaient Maria Ouspenskaya et Richard Boleslavsky qui avaient étudié avec Stanislavski, et établi leur école à New-York après la fameuse visite du Théâtre d’Art de Moscou en 1923).

Mais à cette époque, le travail de la voix et du mouvement était fortement enraciné dans les techniques de chant et de danse. Ces techniques exigeaient une gestion et une manipulation physiques qui mettaient à distance l’interprète de l’impulsion émotionnelle et psychologique. Iris est décédée en 1963, et c’est l’année où j’ai quitté Londres et où je suis partie aux Etats- Unis. J’avais donné cours à LAMDA2 pendant six ans et je voulais du changement. Je pensais séjourner à New-York pour un an. Je suis restée aux Etats-Unis pendant 50 ans. Le travail de la voix d’Iris basé sur l’émotion parlait le même langage psychophysique que celui de la Méthode et dans les années qui ont suivi j’ai développé ses techniques dans ce climat intense d’exploration psychophysique qui est devenu par la suite le « Mouvement du Potentiel Humain » des années 60, 70 et 80. Mon travail est profondément enraciné dans le corps, dans la liberté des émotions et dans la subtilité de la pensée impulsion.

Depuis 1976, « Freeing the Natural Voice » est le nom donné à ce travail parce que c’est le titre du manuel. Il est aussi connu sous le nom de la méthode Linklater, parce que je suis l’auteure du livre - ce livre qui ne devrait jamais être écrit, comme le répétait Iris. Elle disait que le travail serait mal interprété si on le mettait par écrit. Et jusqu’à un certain point, elle avait raison - le travail appartient au corps et au souffle d’êtres humains vivants, ensemble dans un espace. Mais ses idées fondamentales sont suffisamment fortes et vraies pour s’élever au-dessus de l’incompréhension des exercices, et le livre, revu et augmenté en 2006 est maintenant un texte requis dans tous les programmes sérieux de formation de l’acteur dans les pays anglo-saxons. Il a aussi été traduit en allemand, espagnol, italien, polonais, russe et coréen. Le travail est un travail de la voix qui transcende les différences de langage, et de ce fait, qui peut voyager par-delà les frontières nationales. Après tout, la voix peut communiquer sans le langage, mais le langage ne peut communiquer sans la voix. Tous les êtres humains sont nés avec du souffle3, des émotions, et une voix. Et de ce point de vue, la voix est universelle, le langage est culturel.

Depuis des années, je me demande avec curiosité pourquoi ce travail de voix n’a jamais été exploré ici en France. Je suppose que l’entraînement de l’acteur en France a sa propre approche satisfaisante du travail vocal, et je serais curieuse d’en apprendre plus dans les trois jours qui viennent. Il est vrai que jusqu’à présent, il n’y pas de traduction française du livre «Freeing The Natural Voice». C’est sur le point de changer. Françoise Walot en a pratiquement fini la traduction avec l’aide d’autres professeurs que j’ai formés.

Dans ce domaine, chacun possède son vocabulaire personnel, et j’espère que vous accepterez le mien quand je vais décrire le sujet complexe de la voix en utilisant des termes physiques, des termes psychophysiques et des termes psycho-physico-emotionels ! Bien que la voix puisse être comparée à un instrument de musique, c’est d’abord et avant tout un instrument de l’humain qui répète ses premières gammes par sa connexion viscérale avec les hurlements de faim et les gargouillements de plaisir du petit enfant. Avec l’acquisition du langage, cette connexion primitive va être réorientée depuis cette expression crue d’états de l’être vers ces zones du cerveau et du corps qui se conformeront et maintiendront les conventions de la culture dans laquelle nous sommes nés, quelle que soit cette culture. Nous apprenons les comportements qui nous permettent de survivre à l’intérieur des normes de notre culture et de ce fait, nous supprimons notre individualité émotionnelle naturelle. La voix apprend comment pratiquer les gammes et les airs de l’identité culturelle.

Mais pour être au service de leur art, les acteurs doivent forger une connexion claire entre voix et émotion. Mon travail est consacré à la prise de conscience des tensions physiques qui se sont développées pour empêcher une expression libre de l’émotion, et chercher à ôter ces tensions. Les exercices restaurent la voix à ses connexions neurophysiologiques originelles. Nous clarifions les chemins entre le cerveau et le corps - entre le corps et le cerveau. Et le premier ingrédient de la voix auquel il faut se consacrer est la respiration.

C’est bien sûr la respiration qui est au cœur de tout travail de la voix. Respirer est une activité anatomique merveilleusement compliquée, et les praticiens de la voix divergent considérablement dans leur manière d’aborder le travail sur le souffle. Je vais partager avec vous le vocabulaire que j’utilise quand je parle de respiration, et nous pourrons peut-être en discuter plus tard.

Il n’existe pas une manière unique de respirer correctement. Un type de respiration fonctionne pour le yoga, un autre pour la natation ; il y a la manière correcte de respirer pour les arts martiaux, et la meilleure manière pour jouer de la trompette, la respiration dans le cadre de la méditation, et au moins une douzaine de manières « correctes » de respirer pour le chant. Nos muscles respiratoires sont nombreux, variés et flexibles : ils s’adaptent. Ils peuvent agir volontairement et involontairement. Leur but premier est bien sûr de nous maintenir en vie ; ils le font au niveau involontaire.

Mon intérêt particulier pour le souffle est dans la manière dont il crée la voix quand il passe à travers les plis vocaux et comment il nous aide soit à révéler, soit à cacher la vérité quand nous parlons. Dans le rôle joué par le souffle dans l’art du jeu de l’acteur, les objectifs sont la crédibilité et la sensation qu’il n’y a pas de limite. Nous recherchons la vérité dans l’expression des émotions extrêmes et dans l’expression de l’émotion la plus intime. Le souffle est fondamentalement au service de l’expression de l’extrême et de l’intime.

Dans mon enseignement, je scinde la géographie sophistiquée des mécanismes respiratoires en trois :

Le diaphragme et le plexus solaire pour la sensibilité et la connexion émotionnelle ; Le plancher pelvien pour l’instinct et la créativité ; Les intercostaux pour la capacité respiratoire.

Bien sûr, tous ces ingrédients devraient agir de concert dans une sublime collaboration au niveau involontaire. Volontairement, la meilleure contribution que nous puissions avoir est de créer les conditions fertiles à ces activités complexes coordonnées dont le résultat, grâce au souffle, est une communication précise de la pensée en des mots, des ondes du cerveau en ondes sonores. Nous devons nous ôter du chemin de cette délicate relation entre le souffle et le cerveau. Mais pour nous ôter du chemin, nous devons être capables de voir le chemin : nous devons apprendre à connaître notre processus respiratoire.

Le premier pas de cet apprentissage est d’apprendre à visualiser précisément le diaphragme, les muscles intercostaux, et le plancher pelvien. Cependant, la précision anatomique toute seule n’est pas suffisante pour avoir un effet sur la transformation alchimique qui rend le souffle capable de se mettre au service de l’objectif d’un « parler vrai ». Si nous voulons que notre cerveau et notre corps soient unis dans l’acte expressif, les sens, l’imagination et l’imagerie doivent nous accompagner dans notre quête du souffle. Aucun diagramme précis du diaphragme de l’appareil vocal ne vous aidera – et de toute façon, un tel diagramme est impossible, il n’y a rien de net et précis dans le souffle ni dans l’art de la parole.

Le souffle est la clé pour restaurer les connexions les plus profondes avec l’impulsion, avec l’émotion, et avec l’imagination, et par là, avec le langage.

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Pour tous ceux qui parlent, et qui souhaitent explorer le riche domaine intérieur de la respiration, l’utilisation des images est le point de départ de l’aventure et de l’art de la parole. Notre organisme autonome est gouverné par l’imagerie sensorielle. Inconsciemment, nos manières de respirer ont été conditionnées par l’imagerie sensorielle ; une nouvelle imagerie consciente peut dissoudre ces manières habituelles défensives.

Les mots « inspire » et « expire » sont bannis. Ce sont des verbes d’action, alors que le diaphragme est un muscle passif (réactif). Le langage de la prise de conscience du souffle remplace les verbes de contrôle par des messages de relâchement. « Laisse entrer le souffle », « laisse le souffle tomber à l’intérieur de toi » ; « nourris l’impulsion d’un soupir, puis laisse- le s’échapper à l’extérieur de toi », « ouvre-toi, et laisse le souffle entrer puis laisse-le s’échapper ». Ce vocabulaire crée progressivement une liberté mentale et fait se dissoudre les habitudes protectrices du corps et du mental. Nous nous mettons hors du chemin et nous commençons à voir le chemin.

En continuant à explorer le souffle tout en étant couché au sol, nous commençons à stimuler les connexions entre les piliers tendineux diaphragmatiques et le plancher pelvien en passant par les muscles psoas et le long des vertèbres lombaires. Ces piliers diaphragmatiques sont des muscles situés au plus profond du torse et qui font partie du système des psoas, un grand triangle central de muscle qui soutiennent le bas de la colonne, le bassin, et les hanches. Si nous pensons à nourrir une impulsion de soupir au plus profond des articulations des hanches et du bassin, le souffle ne va pas réellement jusque-là. Mais l’impulsion galvanise les muscles des piliers qui courent du diaphragme le long de la colonne lombaire et du sacrum jusqu’à la musculature pelvienne. Le magnifique os triangulaire du sacrum est tissé de nerfs qui voyagent à travers la région du bassin et stimulent les centres nerveux sacrés et sexuels. C’est là que siègent l’instinct, l’intuition, et si j’ose dire, l’impulsion créatrice.

Un soupir est toute sensation de relâchement. Dans mon travail, on utilise le soupir comme outil utile pour relâcher, laisser aller. L’acteur découvrira un jour que pour le roi Lear, hurler sa peine et sa rage c’est un relâchement ; un relâchement aussi pour Constance de crier son désespoir.

La voix transmet de l’information para verbale et meta-verbale. Cette information provient de nombreuses zones différentes du cerveau – l’instrument voix humaine est après tout aussi un instrument de musique, et la musique provient de partout dans le cerveau : du corps calleux, du cortex préfrontal, du noyau accubens (réactions émotionnelles), de l’amygdale, du cortex sensoriel, du cortex auditif, de l’hippocampe, du cortex visuel, du cervelet. La musicalité de la voix joue sur le système nerveux pour qu’il agisse sur la musculature sensorielle, viscérale, respiratoire, laryngée et pharyngée et influence le ton, le rythme et le volume vocal.

Le langage est régi par deux régions principales de cerveau connues sous le nom de la région de Broca qui active les lèvres et la langue, et celle de Wernicke qui assemble les mots pour en faire des phrases. Ces zones ont été identifiées à la fin du 19ème siècle. Elles n’ont de l’importance que pour le praticien de la voix dans le sens où elles mettent l’accent sur le travail conscient que nous devons faire pour amener la voix et le langage dans une relation harmonieuse. Broca et Wernicke ne peuvent clairement pas vivre sans la musique de la voix, mais ils se comportent comme s’ils en étaient les patrons. De nos jours, nos voix portent massivement l’empreinte de l’utilitaire, de l’information logique. Nous ne récitons pas assez de poèmes, nous ne chantons pas assez ; jour après jour, nous ne soupirons pas pour nos désirs, ni pour nos joies, nos tristesses et nos amours. L’entraînement de la voix implique de rétrograder Monsieur Broca et Herr Wernicke, et de promouvoir le Dionysos intérieur.

Les voyelles et les consonnes qui composent les mots sont intrinsèquement musicales et rythmiques. Comme la voix, elles appartiennent aux régions du cerveau créatrices d’images, de sensations, de sentiments. La raison, les arguments, et la logique grammaticale sont principalement des activités de l’hémisphère cérébral gauche, mais elles ont besoin des voyelles et des consonnes pour exécuter leurs objectifs. Si elles sont incarnées dans la pratique, les voyelles et les consonnes peuvent jouer les entremetteuses entre Broca et Wernicke, et Dionysos. Les voyelles sont formées dans le corps, au plus profond du conduit vocal avant que les lèvres et la langue ne puissent les goûter. Un embryon de voyelle peut être vu dans les plis vocaux. Les consonnes sont formées par les muscles articulateurs qui originellement il y a plus de 50 000 ou 100 000 ans étaient seulement utilisés dans des activités en relation avec l’appétit : lécher, sucer, mâcher, goûter. Il y a une vie gustative atavique dans les consonnes qui logent les mots aussi fermement dans le corps que les voyelles ne le font par leur source plus émotionnelle évidente.

Comment est-ce que je travaille tout ceci ? Très logiquement : La progression logique organique des exercices d’Iris Warren, incarnée par moi, et par moi augmentée au cours des années, peut restaurer notre droit de naissance à une voix qui est capable d’exprimer la gamme entière des émotions humaines et toutes les subtilités et les nuances de la pensée grâce à une tessiture de 3 à 4 octaves. Voici une série d’intitulés pour en tracer le chemin :

1. Conscience du corps (devenir conscient des tensions habituelles pour avoir la possibilité de choisir et faire l’expérience de la relaxation).

2. Prise de conscience de la respiration naturelle (observer, ne pas contrôler).

3. Le toucher du son (une visualisation et une sensation tactiles du son qui a son origine dans le corps).

4. Libérer les vibrations sonores (relâcher les vibrations en décontractant les lèvres, le cou et la tête, et tout le corps).

5. Libérer le canal vocal (relâcher les tensions inhibitrices de la mâchoire, de la langue et du voile du palais pour permettre au souffle de prendre la responsabilité pour la voix).

6. L’échelle des résonances : poitrine, bouche, dents (explorer la sensation de résonance dans les cavités osseuses du corps qui correspondent aux différentes énergies et hauteurs de la voix).

7. Capacité respiratoire (ouverture des côtes, stimulation des muscles intercostaux, renforcement de la réponse organique entre l’impulsion et la musculature de la respiration).

8. Résonance des sinus (éveiller les cavités de résonance du milieu du visage qui vont renforcer la tessiture moyenne de la voix).

9. Résonance nasale (éveiller la force extrovertie de la cavité osseuse du nez qui va renforcer la partie supérieure de la voix parlée).

10. Résonances du crâne : le falsetto (relâcher dans la voix extatique).

11. Tessiture (se familiariser avec la résonance de chacun des os, depuis la base jusqu’au sommet de la tessiture parlée de 3 à 4 octaves).

12. Articulation (exercer les lèvres et la langue qui articulent dans des mots la voix libre)

L’attention est réorientée vers tous les sens pour que l’expérience du son de la voix dans le corps se fasse par les images et de manière tactile ; il faut faire confiance à la justesse et au plaisir de la sensation plutôt qu’au jugement de l’oreille. Le travail fonctionne seulement quand la voix est incarnée, quand le cerveau entérique (des sensations et des émotions) vainc l’ascendant du cerveau dans le crâne. Il s’agit de sentir et penser comme une chose unique, plutôt que de penser à quelque chose. Une fois que toute l’amplitude du potentiel vocal a été atteinte, le boulot pour celui qui parle est d’activer son désir de communiquer, de penser clairement, et de s’engager de tout cœur dans le voyage émotionnel de l’événement de la communication.

Colloque international "Pratiques de la voix sur scène: de l'apprentissage à la performance vocale" Presses Universitaires de Provence (Incertains regards) Cahirs Dramaturgiques (2018) http://incertainsregards-theatre.net/spip.php?article111